samedi 15 novembre 2008

Le cas Vasconi.




Cher Hanamizu,

Merci de nous faire partager votre admiration pour les couleurs de l'automne au Japon. Votre description correspond sans doute aux réactions du plus grand nombre, mais il existe parfois des dissonances dans l'idylle. Moi aussi, pendant ma première année de résidence au Japon, j'étais très impatient de voir ces teintes intenses, ce kaléidoscope automnal si différent, m'avait-on dit, de la morosité de l'automne français. Mon attente n'a pas été déçue ; j'ai été particulièrement réceptif à cette nature dont le chant du cygne est une frénésie, un paroxysme. Un matin de novembre, je me lève, regarde par la fenêtre de ma chambre et soudain c'est l'éblouissement : les érables crachent leur feuillage rougeoyant avec une indécence sans pareille. La lumière éclatante et oblique ne fait que renforcer cette impression de fureur - le rouge prend des allures de délit. Tout ce spectacle contraste si vivement avec mon naturel volontiers neurasthénique, facilement en proie à l'abattement, aux délices stériles du narcissisme morbide ! J'oriente ma quête des beautés de l'automne et décide d'aller près du parc de Ueno, empruntant pour cela le chemin de l'étang Shinobazu, si irréel avec ses lotus en agonie, bordés de furoncles architecturaux sacrifiant à la pénible esthétique de la caserne. A peine arrivé, le tonnerre épars du rouge contamine ma vision. Des images m'effarent. Les cadavres des clochards trucidés ont élus domicile au fond de l'étang et n'attendent qu'un signe de ma part pour venir réclamer leur dû à la surface. Puis partout les formes obscènes montent de l'étang, jaillissent en désordre dans le firmament qui se satanise; les nuages se gonflent en mamelons, se fendent en croupes, s'arrondissent en des outres fécondes, se dispersent en des traînées épandues de laite; ils s'accordent avec la bombance sombre de la futaie où ce ne sont plus qu'images de cuisses géantes ou naines, que triangles féminins, que grands v, que bouches de Sodome, que cicatrices qui s'ébrasent, qu'issues humides! - Et ce paysage d'abomination change. Je vois maintenant sur les troncs d'inquiétants polypes, d'horribles loupes. Je constate des exostoses et des ulcères, des plaies taillées à pic, des tubercules chancrelleux, des caries atroces; c'est une maladrerie de la terre, une clinique vénérienne d'arbres dans laquelle surgit, au détour d'une allée, un hêtre rouge. Et devant ces feuilles empourprées qui tombent, je me crois mouillé par une pluie de sang; j'entre en rage, rêve que sous l'écorce une nymphe forestière habite, et je voudrais bafouiller dans de la chair de déesse, je voudrais trucider la Dryade, la violer à une place inconnue aux folies de l'homme ! Je reste hébété de cette dernière vision, pantelant comme à la porte d'un patchinko. Les nombreux corbeaux ont l'air de faire de la figuration animale et en réalité se payent ma tête. Je rentre sanglotant, le sexe dru, dans ma garçonnière vide et croule sur mon lit comme une masse, désormais en proie à la malveillance de multiples fantômes qui, dans un grand silence, m'attaquent aux parties basses.

Mais si j'évoquais le paroxysme de cette nature automnale au Japon, j'oubliais que c'était un paroxysme indifférent, sourd aux désirs incoercibles qu'il avait fait naître en moi et qui devaient quotidiennement me hanter jusqu'à l'arrivée de l'hiver. Par chance, la société japonaise offre de nombreux dérivatifs légaux qui permettent de bémoliser l'intensité des pulsions.

Cela fait plusieurs années maintenant que je vis au Japon. Chaque automne, je préfère me cloîtrer, effrayé par les pouvoirs de cette profusion de couleurs. J'ai fait l'expérience du révélateur de ma part maudite et croyez-moi, une fois suffit. Ainsi, M. Hanamizu, je ne saurais trop conseiller à vos lecteurs de redoubler de prudence contre le sortilège de l'automne japonais et vous demanderai de rajouter une petite note de mise-en-garde à votre article.

Bien cordialement,

Loïc Vasconi

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour cette citation de mon article. J'avoue que l'automne japonais est seulement pour moi l'occasion de promenades agréables en forêts, dans une atmosphère mélancolique que je trouve agréable. Le promeneur pourra associer à ce paysage les derniers chapitres de mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriant, et méditer un peu sur le passage de la vie.

Au passage, je ne sais si c'est une faute de frappe ou un jeu de mot, mais le nom de mon blog est "Uchimizu". C'est sans doute plus seillant que "Hanamizu" qui rappelle plus les Kleenex hivernaux et le paracétamol.

Anonyme a dit…

Je commence à croire à cette malédiction d'automne: j'ai attrapé depuis votre post un bon rhume, qui justifie parfaitement le surnom d'"Hanamizu".

Je ne vais pas tarder à invoquer le maxilase et l'euvanol pour me sortir d'affaire.