A Tokyo, tout se parcellise, et ma parcelle est mon royaume. Ma ruelle, où je traîne en savates, est le prolongement naturel de mes tatamis ; où je peux de temps en temps aller au sento du quartier, avec mon petit baquet sous le bras ; où, longeant les boutiques de fruit et de légumes, ouvertes en direct sur la rue, sans vitrine, je pourrai acheter une carotte par ci, deux tomates par là (le kilo, cette unité de dévoreur occidental !)
Jean Perol, Tokyo
Message reçu sur le Syndrome de Tokyo :
Je me décide à vous écrire. Besoin de parler. Besoin de me replonger. Là-bas. Dans ce maelström de sensualité. Cet autre bout du monde à quoi je reste accroché, comme un chien misérable après son rut satisfait. Comme il m'est difficile de parler du Japon, comme il est douloureux de raviver tous ces souvenirs de braise, de ressusciter ces parfums d'orchidées sauvages, l'effluve intime de ces femmes de jais et de feu. Le manque de Japon est terrible, il laisse sans force, sans vie, je suis un camé au Japon ; ce que bien sûr, vous ne pourrez jamais comprendre. Je ne parle pas de « nostalgie », je parle de « manque » ; le Japon ne souffre pas d'être traîté sans passion, par des fades de votre acabit. Il est sans pitié, n'est-ce pas? Voilà deux ans que j’ai laissé là-bas mon coeur et un peu de mon âme, à n’en pas douter. Oui, Tokyo me manque terriblement, viscéralement ; pour son intensité, pour sa cruauté, son ardeur, sa chaleur, sa civilité. Les aigreurs, les sarcasmes qui s’étalent à longueurs de notes sur ce site en disent long sur votre impuissance, votre incapacité à vivre ce pays, à comprendre ses silences, à pénétrer son intimité. Il y a ces lignes superbes de Jean Perol, qui fut en son temps directeur de l’Institut Franco-Japonais (je suppose que vous considérez ce type de réussite avec une ironie mauvaise ) et dont je vous recommande la lecture. Comme vaccin à votre haine de ce pays qui vous échappera toujours, ces lignes sublimes qui chantent l’amour, la mort et l’érotisme :
« Il y avait H., si distinguée, au sourire soudain éclair, soudain printemps, toujours fraîcheur, qui, de son corps longiligne et un peu maigre, se soudait à mon corps durant des heures, et qui, dans les flux et les reflux de son jouir, s’appliquait, les yeux fermés, à oublier tous les passés, nationaux, privés et familiaux, s’acharnant à la cerner. Nous nous retrouvions dans un appartement situé en haut d’un building. Ce dernier avait pour vis-à-vis, de l’autre côté de l’avenue, une caserne : celle où Mishima tenta son soulèvement militaire ; et, en d’autres rites, amoureux et cruels, s’y suicida (...) En face, H., sur son lit étroit, à longues heures de brûlures et de plaintes légères, la peau ruisselante, s’enfonçait dans cet oubli et dans sa liberté. Je la reverrai longtemps surgir de la gare de Shibuya, de sa marche souple, un peu scandée, sa robe jaune d’été flottant derrière elle, ses bijoux rares et lourds jetant parfois des éclairs, ses mèches noires fouettant son visage, avec son sourire de clarté pour marcher à l’amour. »
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