mardi 7 avril 2009

"Retour de Tokyo", un inédit de Murgel Bitor


Soucieuse de démocratiser une littérature réputée "radicale" en rapport avec le syndrome, l'équipe du SDT offre aujourd'hui à ses fidèles lecteurs un texte inédit de Murgel Bitor, Retour de Tokyo, trouvé par Pierre-Alain Xantrailles dans les poubelles de son domicile parisien. Nous y lisons notre romancier, poète et essayiste, principalement connu pour ses fictions expérimentales proches du Nouveau Roman, s'abîmer dans les abysses d'un coupable souvenir du Japon ; errance morale qu'une nostalgie subite pour les lieux interlopes de Tokyo tentera vainement de bailloner... Bitor, amoureux de longue date du pays du soleil levant, s'y rend régulièrement pour y égrener son large savoir, via colloques et conférences. L'aspect bonhomme du personnage, le contentement qui stigmatise son visage de grand-père jovial face à l'accueil toujours impeccable dont il bénéficie ne laissent pas transparaître ce mal-être à l'intensité difficilement mesurable, mais dont le texte ci-dessous donne une idée. Impossible de préciser quand commence, où s'arrête la fiction dans cet écrit d'un lyrisme sombre, virtuose dans le rendu de l'anamnèse, créant des équivoques dont le moins qu'on puisse en dire est qu'elles ne provoquent pas le rire, mais bien l'effroi. Jugez plutôt :


RETOUR DE TOKYO

Tokyo, ville-oreille. Glisser dans la gouttière de l’hélix, puis, arrimé à la conque de ses ruelles, chatouiller son délicat tragus. Les yeux encore grésillant des murmures optiques entés au pavillon de ce lobe satanique herissé d’idéogrammes, je tatone ; tente d’en explorer les premières sentes, pentacle à la main - compagnon d’étude de ces garnements à cheveux noirs, culottes courtes, chapeaux pointus et bouts de doigts enduits de cerumen, écoliers aux cuisses fouettées par le vent qui ouvraient si bravement leur petit parapluie après avoir essuyé entre les fesses de leurs camarades le pinceau urinifère à la fin de dures heures de calligraphie, je n’en reviens pas d’être capable de retrouver mes lettres, ma langue, d’être capable de lire toutes les inscriptions. L’extraction de cette fossette naviculaire n’aurait-elle donc laissé aucune séquelle ? Tel ce flûtiste-dératiseur de la ville d’Hamelin, n’avais-je pas bel et bien, de mon instrument, ensorcellé ces freluquets piailleurs rivés à mes gammes, pour maquiller ensuite, vengeur, l’entrée de cette grotte perdue dans Kamicho, dont les parois s’étaient refermées surs les corps bambins ?


Mais non, me voilà revenu indemme de crime, pantelant à Paris.


Lili la tigresse, Montmartre. Brusquement, réminiscence : fait-écran, fait-précipice-moi dans la bouche - la criaillerie caractéristique des établissement de pachinko. Chinko : veut dire bite en japonais. Même clignotements, grésillements, émanations (prout : dites-le avec le cul), explosions. Pet-flamme giratoire et rutilant dans les rues de Tokyo. Leur haleine chaude sur mes joues. Mais ce n’est qu’une illusion. Les balafres et les eczémas exhibés sont aussi postiches que les vulves portatives, 500 de caoutchoux chinois. Je traverse un quartier de plaisir comme on dit, et je pourrais découvrir dans une de ces ruelles au plâtre lépreux des antres pleines de billards électriques, de néons éclatants, de conviviaux rabatteurs : hey my friend, do you want to have fun this night ? Je suis circonspect. La Founier dit oui. Kabukichô, gentlemen’s club. On est pas sûr d’y avoir de la place. Si oui : la culbute inévitable au bout du parcours hasardeux et miraculeux, indécent incendie des sens. Quand soudain, retour à Paris : les lèvres de Lili sur mon vit me tirent de mes rêveries.


Vous me direz qu’il y a bien des Soap Lands à Troyes ou Pontoise et que quelques-uns sont excellents ! Novices. Vous y en a pas être allé avec Frayé débouler encanaillé dans vénelles encrassées de Shinjuku 3-chômé. L’aspiration de la nouille udon se fait sans bruit ici. Et surtout : rien de cette variété d’officines, qui s’adaptent aux cadres du fantasme (écolières aux grands yeux de biches ouverts sur le monde, office ladies, mature citizens, grille-pain). On s’y régale de nostalgie surtout. Un soupçon de vulvegarité alourdit pour moi toutes ces croupes fendues que les guides spécialisés décorent de leurs plus honorifiques étoiles. Je me détourne offusqué de ces mets trop communs. J’exige ma part de sot-l’y-laisse. Cette petite cerne enfoncée entre ses deux fesses, et qu’elle fronce, et me fait admirer en tirant légèrement sa culotte, sur le côté. Et si jamais parvient à mes narines ce fumet de trou-fignon nippon, nul doute que j’entre aussitôt en perçant, rongeur affamé, l’anus ainsi dégagé. Oublieux de toutes tentations courantes, je me faufilerai pour lui visiter tout le boyau culier, puis me dégagerai pour aller vomir, au coin d’un trottoir, ou assis tant bien que mal sur le sol souple, triant ensuite de mes baguettes les plus beaux morceaux flottant dans mon bol de nuit.


MURGEL BITOR

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