Nos fidèles lecteurs se souviennent peut-être de Loïc Vasconi, qui à la suite d'un article d'Hanamizu, nous avait fait part de ses sensations les plus troubles ressenties lorsque vient l'automne au Japon. Nous n'avions plus de nouvelles de cet être aussi sensible que mystérieux, dont nous dirons pudiquement qu'il est "différent". Quel plaisir ce fût de recevoir de lui ce poème, qu'il dit être inspiré des récentes tentatives de Raoul Visage. Nous sommes émus de la sincérité avec laquelle il relate cette expérience singulière, émus de ce souffle revisitant l'alexandrin, que l'on croyait à tort périmé, par trop corseté. Nerval évoquait les Illuminés ; nous croyons pouvoir affirmer que Vasconi appartient à une autre famille, celle des Hallucinés, même si la mélancolie finale née de l'adieu à l'épanchement du songe dans la vie réelle montre qu'un équilibre semble avoir été in extremis atteint. Raoul Visage, heureux d'être l'inspirateur de ce poème, nous indique qu'il y voit "une ode réussie à la Régression, aussi bien formelle que thématique - voilà un paradoxe qu'il nous reste à penser : il n'existe pas de progrès en art, pourtant des régressions peuvent advenir". Mais laissons la parole au poète et à sa terrible traversée de l'Achéron, en l'occurrence le très onirique étang Shinobazu situé dans le quartier de Ueno.
Surinées par un porc ou par un rabatteur
Par un obscur Jean-Foutre un beauf en débardeur
Se cachent hardiement, sous les lotus malsains
Tout au fond de l’étang des hordes de putains
Allez donc vérifier : apportez votre masque
Vos outils de plongée, votre fidèle flasque :
Blasés que dites-vous d’un beau bal costumé
Chez ces succédanés de catins décédées ?
Pour moi, question oiseuse : j’approuve, je ris, je signe
Vrai, c’est plus dangereux que mille lacs des cygnes !
Mais pourtant dans ce lieu fini le bois bandé :
Sans me faire prier je descends l’escalier
Les érables ardents déteignent sur l’étang
Les sanguines couleurs diffusent lentement
Des méduses en carton font une apparition
Bordées curieusement par des bancs de moignons
Des tranches de barback flottent à la surface
Les putains affamées pour baffrer se surpassent
Ou ingèrent goulues leurs propres excréments
Car c’est bon pour la peau, ça rend intelligent
Des touristes parfois viennent s’encanailler
Ils en repartent heureux mais le zob arraché
Et répondent à l’affront par le jet frénétique
Sur les belles putains de billes métalliques
Elles n’éviteront pas les pauvres courtisanes
Les boulettes pénètrent et se fichent dans leur crâne
Ou traversent leur corps parfois jusqu’aux genoux :
Les putes se bidonnent et éructent « on s’en fout ».
Me voici englouti mais l’esprit souverain :
Ah ! Me voir naître enfin au monde souterrain !
Quel singulier tableau : des sœurs océanes
Se disloquent gaiement privées de toute panse
Leurs aiselles fardées sentent la frangipane
On en oublie fissa toutes les différences
Je titube sans art, quand mes bien-aimées dansent
Sur des rythmes hardis elles miment le dindon
Exhibant culs béants et accueillant girons
Bien que faisant penser à la fosse d’aisance
Bizarre régression, je me plais à songer
Que l’on doit sans douleur, ah, pouvoir trépasser
Une obèse poupée me lit du Ségalen
Moby Dick excité j’harponne la baleine
Mon obscène joystick se réveille et se dresse
Sans tarder s’insinue dans un reste de fesse
Pendant que doucement une demi-mondaine
Avec des nerfs de boeuf me ficelle sans peine
Raison dévole sec dans ce bal enivrant
Tant de spasmes se ruent sur le bout de mon gland
Je sens une douleur venant du bas du dos :
Un zombi inverti m’a percé les boyaux
Infecte sensation ! Je hurle « remboursé » !
C’est ainsi que d’un vit l’anus bien entravé
L’enchantement fait place à une vraie colère
L’humeur n’est certes plus à singer le trouvère
Je reste concentré, ose un doigt cavalier
Mais le vagin denté me le rend lacéré
Un hippocampe vert veut me faire un bandage
Retenez-moi mes frères ou je fais un carnage
Se perdent des bourre-pifs, des torgnoles, des fessées,
Je n’ai plus qu’à meurtrir la chair des macchabés
Puis leur peigner les nerfs avec des god’michés
Et recycler sur eux la chasse au sanglier
Je n’ai pas oublié mon révolver chargé
Mais je crains trop le snipe et la sous-munition
Des fluides bigarrés souillent mon pantalon
Ayez pitié de moi qui vous ai tant aimé
Décidé à punir mes belles amoureuses
Bravant toutes mes peurs je sors ma sulfateuse
Je tire dans le tas, et c’est bien mérité
Place au laid carnaval des chairs éparpillées
Sur ce spectacle affreux résigné je remonte
Vers les rives désolées de ma pénible honte
Devant expier céans mon choix irrévocable
Voici l’heure venue du deuil inconsolable
Je ne t’oublierai pas Shinobazu Iké
Automne japonais bannis mes borborygmes
Mon rêve trucidé je ne peux que sombrer
Dans les eaux cramoisies de la vie sans énigme